Portrait de Camille Vidal, pionnière du sujet
Dans le monde de l’hospitalité, la sobriété, au sens anglo-saxon du terme (abstinence à l’alcool), est un sujet compliqué. Longtemps, les cocktails sans alcool ont été des pis-aller sans ambition. Le vocabulaire pour les qualifier illustre bien cette défiance : on parle de « mocktails » (littéralement : imitation) ou, en français, la version « virgin » d’un cocktail existant, soit le degré zéro… de la créativité.
Et puis Camille Vidal s’empare du sujet.
Elle est née dans le Sud de la France dans un milieu artistique. Son art à elle, son moyen d’expression sensible, elle l’a découvert lorsqu’elle s’est installée en Australie à 20 ans. Embauchée dans un bar à cocktails, un domaine auquel elle ne connaît rien, c’est une révélation. Dans les cocktails, elle peut exprimer sa créativité, utiliser l’univers de la cuisine qu’elle aime -son père est un fin cuisiner- en travaillant des ingrédients, en associant les saveurs, comme on le fait dans un plat. Elle tombe amoureuse de ce milieu, de l’ambiance, de cette « grande famille internationale de l’hospitalité ». Elle devient l’ambassadrice mondiale de la liqueur Saint Germain, et s’attache à véhiculer un certain art de vivre à la française : bien boire, bien manger. Et bien vivre aussi. Le métier de bartender, elle l’adore. C’est un métier généreux, tourné vers le client, physique et éprouvant. Comment décompresser après un gros service sans tomber dans les excès ? Elle a vu des talents gâchés. Comment bien vivre, alors ? Elle se pose la question de l’équilibre. Elle veut aider l’industrie et, d’une manière générale, proposer à la société une façon de consommer qui colle à cette recherche d’équilibre. Sa réponse, c’est le « mindful drinking ». Une manière de « devenir soi-même » en étant à l’écoute de ses goûts, de ses besoins, de ses sens. Le principe du mindful drinking est simple, mais compliqué à traduire : il s’agit de boire « en conscience » mais pas de manière ésotérique. Avec tous les sens. Stimuler le goût, la vue, l’odorat, comme avec n’importe quel cocktail. Objectif donc : l’équilibre, à tous points de vue.
Camille Vidal, aujourd’hui installée à Londres, a créé La Maison Wellness avec laquelle elle met en œuvre son idée : une approche équilibrée de l’hospitalité pour tous, une façon d’appliquer au quotidien le dicton anglais qu’elle cite « Stop and smell the roses », c’est-à-dire « prendre le temps de savourer ». Ses cocktails sont low ou no-abv. Les ingrédients, le goût, l’expérience priment. Parfois, lorsqu’elle est derrière le bar lors d’un événement, elle ne précise même pas que les cocktails qu’elle sert sont sans alcool, pour laisser ceux qui le dégustent le goûter sans apriori négatif. Car c’est encore souvent le cas. Prôner le mindful drinking et les cocktails sans alcool ou à faible teneur alcoolique, c’est un peu trahir le milieu et les attentes des consommateurs. Depuis la Covid, Camille Vidal observe toutefois une nette évolution. Les temps de confinement à domicile ont accéléré la prise de conscience sociétale des excès de consommation individuels et collectifs. Les regards changent vite. Une génération émerge, très à l’aise avec le fait de passer une longue et excellente soirée « en pleine conscience », sans en payer le prix le lendemain. Côté clientèle comme côté pro, pour qui, en outre, le mindful drinking est intéressant financièrement.
Demain dans les verres, attendons-nous à trouver une recrudescence de plantes adaptogènes et pas mal d’ingrédients à haute teneur en saveurs : le mindful drinking ne fait que commencer. Pour mieux boire et mieux vivre.
https://www.lamaisonwellness.com
@mindufllycami
The Virgin Mary Bar, Dublin
Ils ont été les premiers en Europe à ouvrir un bar 100% sans alcool. L’idée est venue à son fondateur, Vaughan Yates en 2018 lors d’une visite au salon du Cocktails Spirits (un event dédié au monde du bar et aux spiritueux) où il a goûté 2 produits sans alcool. Après enquête de terrain pour sonder les consommateurs, il s’est lancé et a ouvert en 2019 le Virgin May Bar, un lieu conçu comme un bar irlandais traditionnel… exception faite de l’offre. Le shutdown les oblige à fermer et spontanément les ventes en ligne se développent jusqu’à être aujourd’hui une partie complète du business. Au bar, leurs bestsellers sont les cocktails (qu’il appelle ‘spirit free’, une dénomination plus riche et positive que ‘mocktails’) : construits et sophistiqués en goût, ils sont difficiles à reproduire chez-soi et sont un symbole de sortie festive.